PREMIER SI�GE
(1836)

 

IV

COMPOSITION DE LA COLONNE EXP�DITIONNAIRE. ELLE MARCHE SUR CONSTANTINE


Mais l'affaire �tait trop engag�e pour qu'un inconv�nient de ce genre fut de nature � l'arr�ter. Les troupes devant former la colonne �taient concentr�es, et le 29 octobre, d�barqua, � B�ne, le prince royal. Clauzel arriva le surlendemain ; le 2 novembre, un ordre du jour communiqu� � l'arm�e, fit conna�tre la composition de la colonne exp�ditionnaire.
En m�me temps le mar�chal adresse � la population de Constantine une proclamation inspir�e par la conviction qu'elle s'est s�par�e de son pacha. Il lui annonce que l'arm�e sera log�e dans les maisons, mais que toutes les mesures sont prises pour que les biens, les croyances et les personnes des musulmans soient strictement respect�s sous la protection du drapeau de la France. Nous ignorons si cette pi�ce parvint aux destinataires et, par suite, quel fut l'effet de l'�loquence du Mar�chal.

Voici la composition de l'arm�e exp�ditionnaire :

Infanterie :
59 e, 62e, 63e de ligne; 2e, 17e l�ger; Ier bataillon d'Afrique ; Compagnie franche........5.300 hommes
G�nie. — 17 compagnies.................................................................................................650 hommes
Artillerie...........................................................................................................................545 hommes
Ouvriers d'administration et train.......................................................................................250 hommes

Cavalerie :
3e chasseurs d'Afrique, spahis r�guliers et gendarmerie.....................................................895 hommes

Troupes indig�nes :
Bataillon turc....................................................................................................................300 hommes
Spahis irr�guliers...............................................................................................................200 hommes
Total..............................................................................................................................8.040 hommes
Plus 30 officiers, formant l'�tat-major g�n�ral.
L'effectif des chevaux et mulets, de selle et de trait, �tait d'environ 1,600 ; plus 400 mulets de r�quisition.

L'arm�e fut, divis�e en quatre brigades, sous le commandement en chef du mar�chal Clauzel, assist� du duc de Nemours, qui prit la premi�re brigade, et des g�n�raux de Rigny et Tr�zel.
Le colonel Lemercier, du G�nie, �tait directeur du si�ge, et le colonel de Tournemine commandait l'artillerie.
Berbrugger, secr�taire du mar�chal, suivait l'exp�dition comme historiographe.
Le vieux g�n�ral duc de Caraman avait obtenu la faveur d'en faire partie comme amateur.
Plein d'ardeur et de confiance, Clauzel communiqua � tous son entrain et ce fut dans ces dispositions que l'arm�e se concentra � Dr�an. Mais les premiers jours de ce mois de novembre furent tr�s pluvieux et, par suite de ce contre-temps, la t�te de colonne ne quitta le camp que le 9.
Apr�s divers incidents sans importance, l'arm�e se trouva r�unie en entier sous Guelma le 15. L'avant-garde avait d�j� pris possession de l'emplacement de la future ville ; on y �leva une redoute, en utilisant les ruines romaines, et un d�p�t de vivres et de munitions y fut plac�, sous la garde d'un bataillon d'infanterie.
Quant aux nombreux contingents indig�nes promis par Yusuf et par les che�khs, on les attendit en vain. Les goums des Henanecha et des tribus voisines �taient bien partis, mais ils se tenaient � distance et l'on ne cessa de voir, sur les collines, les groupes de cavaliers refusant de s'approcher et gardant une attitude expectative jusqu'aux environs de Constantine.
Le 16 au matin, l'arm�e se remit en route et continua sa marche, sans autres incidents que quelques escarmouches de cavalerie sur les flancs. A partir de l'Oued-Zenati, la pluie ne cessa de tomber; lorsque la colonne atteignit les hauts plateaux, elle devint de plus en plus froide et se changea en neige. Plusieurs soldats moururent, de froid. Enfin, dans la soir�e du 20, l'arm�e, rang�e autour de ce monument antique appel� par les Arabes "la Soumaa", et que les troupes baptis�rent, on ne sait pourquoi, du nom de "Tombeau de Constantin" (derri�re le Khroub), aper�ut, entre deux ond�es, la ville, qui fut salu�e de longues acclamations. On voyait aussi, sur les mamelons de la rive gauche du Bou-Merzoug, la, cavalerie du pacha, se tenant hors de port�e.
Le lendemain, 21, la colonne-descendit dans la vall�e de l'Oued-Hamimim, et, comme ce ruisseau �tait d�mesur�ment gonfl� par les pluies et la fonte des neiges, il fut tr�s difficile au convoi de le franchir. Cependant, gr�ce au courage de tous, on sortit de ces fondri�res et le gros de l'arm�e atteignit, dans 1'apr�s-midi, le plateau du Mansoura.


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V

INSTALLATION DES TROUPES ET COMMENCEMENT DU SI�GE

Le mar�chal, suivi de son �tat-major, s'avan�a jusqu'au bord des pentes faisant face � la ville, et chacun regarda, avec des impressions diverses, le spectacle qui s'offrait � ses yeux. Les maisons de Constantine s'�tageaient sur les pentes de ce plateau inclin� du nord-ouest au sud-est, domin�es par les minarets des mosqu�es et couronn�es au sommet par les fortifications de la Kasba, o� l'on distinguait des pi�ces en batterie. Les portes �taient ferm�es et personne ne se montrait sur les remparts o� deux grands-drapeaux rouges se d�ployaient au caprice du vent. La vieille ville de Jugurtha et de Constantin semblait morte, et l'impression g�n�rale �tait p�nible en pr�sence de ce sphinx, dont chacun cherchait � p�n�trer le secret.
Sous le charme de sa belle confiance, Clauzel s'attendait � voir une porte s'ouvrir pour laisser passer une d�putation de notables � barbe blanche, v�tus de belles robes claires, venant lui apporter les cl�s de la ville... Mais, tout � coup, plusieurs d�tonations se firent entendre et des boulets bien dirig�s ricoch�rent sous les pieds des chevaux de l'�tat-major. C'�tait la d�claration de la place : elle voulait combattre ; le mar�chal en prit aussit�t son parti; il alla installer le quartier g�n�ral dans un gourbi aupr�s du tombeau de Sidi Mabrouk et donna tous les ordres n�cessaires.
Comment s'expliquer l'inertie d'El Hadj Ahmed, car il �tait dehors, avec des contingents de cavalerie nombreux ? Pourquoi n'inqui�ta-t-il pas la marche de l'arm�e et la laissa-t-il s'installer devant la place, sans essayer de lui disputer le terrain ? Il connaissait, � n'en pouvoir douter, la haine que lui portaient les gens de la ville, comme ceux de la campagne, et pr�f�ra, sans doute, attendre, au milieu de ses goums, la d�cision du Tr�s-Haut, �crite sur le livre du Destin.
D�s qu'on avait appris, � Constantine, la marche de la colonne, il avait exp�di� � Mita, chez son ami Bou Rennane ben Azz ed Dine, ses femmes pr�f�r�es et ses tr�sors; puis, laissant la ville sous le commandement de Ben A�ssa, il alla s'�tablir sur les pentes de la rive droite du Remel, au-dessus des Arcades romaines, avec les cavaliers de Ben Gana et ceux de Bou Aokkaz ben Achour. En face de lui, les fantassins appel�s de Kabilie garnissaient les pentes du Chettaba.
Ben Aissa, second� par le caid Ed Dar- Ben El Bedjaoui, avait pris le commandement de la ville, et, sous la direction de ces deux hommes �nergiques, la population s'�tait vue contrainte d'ajourner toute id�e de soumission � l'infid�le. Et pourtant, les forces r�guli�res ne se composaient que d'environ 1,200 Kabiles et Koulour'lis auxquels s'�taient joints des "volontaires" fournis par les citadins ; les vivres et les munitions �taient absolument insuffisants pour soutenir un long si�ge. Telles �taient les conditions mat�rielles et morales o� se trouvait Constantine pour r�sister � l'attaque de l'arm�e fran�aise.
Cependant, le mar�chal Clauzel ne semblait nullement affect� de la double d�ception qu'il �prouvait, en trouvant Constantine dispos�e � la lutte et en ne voyant pas venir ces nu�es de cavaliers du Sud promises par Farhate ben Sa�d, qui l'avait si ardemment pouss� � l'exp�dition. De son quartier g�n�ral de Sidi-Mabrouk, balay� par le vent et la neige fondue, il disposait tout pour que l'attaque fut men�e �nergiquement et sans le moindre retard.
La premi�re et la deuxi�me brigade, sous le commandement du duc de Nemours et du g�n�ral de Rigny, re�urent l'ordre d'occuper le Koudiat, dont les pentes s'�tendaient jusqu'en avant de l'emplacement de notre halle. Ces troupes franchirent le Remel, sans doute vers l'emplacement actuel du pont du Bardo, et cette op�ration ne se fit pas sans peine, car la rivi�re roulait jusque sur les berges ses flots jaun�tres. Mais les soldats d'Afrique ne se laissaient pas arr�ter par de tels obstacles, et tout tremp�s par cette eau glaciale, ils se formaient en bel ordre sur la rive gauche et commen�aient � gravir les pentes.
A cette vue, un millier de fantassins sortirent des portes Bab-el-Oued et Bab-el-Djedid (1), et s'avan��rent en tiraillant le long des boutiques qui s'�tendaient alors en deux lignes, depuis cette derni�re porte jusqu'au pied du Koudiat ; un grand nombre de femmes et d'enfants les suivirent en poussant des cris aigus.
La 8e compagnie du 1er bataillon d'Afrique, qui formait l'avant-garde, avait d�j� pris son poste sur le mamelon. Les z�phirs s'avanc�rent audacieusement contre cette tourbe ; mais entour�s d'ennemis, ils ne tard�rent pas � se trouver dans une situation tr�s critique et eurent plusieurs hommes enlev�s. Heureusement que les troupes arrivaient successivement. Les autres compagnies de ce bataillon coururent au secours de leurs camarades, les d�gag�rent et repouss�rent les assaillants. Puis la charge sonna et le 17e l�ger, se jetant sur eux � la ba�onnette, acheva la d�route.
Affol�e, cette cohue se pr�cipita vers les portes dans un d�sordre �pouvantable, se poussant, s'�crasant contre la muraille, refoul�e par les chasseurs chargeant au galop ; nos cavaliers s'avanc�rent jusqu'aux portes, sabrant et �crasant tout ce qu'ils rencontraient ; � peine les assi�g�s eurent-ils le temps de les refermer et d'en consolider les panneaux ; quelques vol�es de mitraille tir�es du rempart arr�t�rent l'�lan des soldats. Un t�moin digne de foi assure qu'avec un peu d'audace, on pouvait p�n�trer dans la ville � la suite des fuyards, en profitant du d�sordre qu'ils avaient caus� et de la terreur qu'ils r�pandaient ; mais nous pr�f�rons croire que, si cela avait �t� possible, on n'e�t pas manqu� de le faire.
Les deux premi�res brigades s'install�rent, dans la soir�e du 21, sur le Koudiat et s'y garantirent de leur mieux. Les pentes de l'Ouest, plus accessibles que les autres, furent coup�es de petits murs destin�s � arr�ter l'assaillant. En m�me temps, les deux derni�res brigades prirent leurs positions sur le plateau du Mansoura. Tout cela put �tre termin� avant la nuit et sans trop de difficult�s, malgr� la pluie persistante.
Malheureusement, le convoi et l'arri�re-garde n'arrivaient pas, et il nous semble qu'on ne s'inqui�ta gu�re de cette partie si importante d'une colonne exp�ditionnaire. On a vu que le passage de la vall�e de l'Ouad-Hamimim avait �t� tr�s difficile. Une fois sorti de ce mauvais pas, on se crut sauv� ; mais dans la travers�e de la d�pression qui pr�c�de l'Ouad-bi-el-Brarite (rivi�re des Chiens), et dans le lit de ce ruisseau, les chariots s'embourb�rent. Les hommes, comme les b�tes de trait, se trouvaient � bout de forces et d'�nergie, et la nuit survenant, il fallut se r�soudre � d�teler et � camper dans ces bourbiers. Un bataillon du 62e fut laiss� � la garde du convoi.
Les troupes attendirent donc en vain la distribution des vivres rest�s sur les chariots et l'on du se contenter de ce qui avait �t� plac� sur les mulets. Tandis que chacun s'organisait de son mieux pour passer la nuit, et que tes officiers se multipliaient afin de garantir leurs hommes contre une surprise et de leur procurer des vivres et des abris, la r�gion o� le convoi �tait embourb� devenait le th��tre des plus tristes sc�nes. Accabl�s par la fatigue et les privation, tremp�s jusqu'aux os, d�moralis�s par ces torrents de pluie et de neige, les soldats de garde et les conducteurs, refusant d'�couter la voix de leurs chefs, entour�rent les voitures charg�es de provisions ; bient�t les b�ches sont enlev�es, les cordes d�tach�es et le pillage commence. Les uns �ventrent les sacs de riz, d'autres ouvrent les caisses de lard, mais le plus grand nombre s'attaque aux barils d'eau-de-vie et aux tonneaux de vin. D�s lors, la mutinerie se transforme en orgie ; on ne pense plus � manger, mais � boire pour trouver dans l'ivresse l'oubli de tant de maux intol�rables. Quel spectacle plus horrible que celui de ces malheureux grelottants, tremp�s jusqu'aux moelles, couverts de boue, se gorgeant d'alcool dans l'obscurit�, puis roulant ivres morts dans la fange o� ils expirent bient�t, couverts d'un linceul de neige...
Les plus sages finirent par �couter les exhortations de leurs chefs et, s'�loignant de ce th��tre de d�solation et de ces entra�nantes sollicitations vers une mort honteuse, se r�fugi�rent dans les grottes des hauteurs voisines. Aussit�t, les r�deurs indig�nes qui guettaient aux alentours comme des chacals, se pr�cipit�rent � la cur�e, massacr�rent les malheureux soldats livr�s sans d�fense par l'ivresse, coup�rent de nombreuses t�tes et achev�rent le pillage du convoi.
Le d�sastre �tait complet et devait avoir les plus f�cheuses cons�quences pour l'exp�dition.


1. La premi�re s'ouvrait sur le front en avant du th��tre ; la seconde, situ�e � l'angle du b�timent occup� par le Tr�sor, sert actuellement de magasin � la Mairie. (retour)

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