VI

SI�GE DE CONSTANTINE �CHEC DE TOUTES LES ATTAQUES

Ce fut une bien triste matin�e que celle du 22, dans les camps fran�ais, devant Constantine. Plusieurs hommes succomb�rent, durant la nuit, � la fatigue et au froid ; les cas de cong�lation �taient nombreux. La nouvelle de la perte du convoi et de la mort des hommes pr�pos�s � sa garde, r�pandit la consternation.
Cependant, d�s le matin, le colonel de Tournemine, directeur de l'Artillerie, essaya de faire hisser un canon de 8 sur le Koudiat. On franchit, non sans peine, le gu� du Bardo ; mais lorsqu'il s'agit de gravir la pente, sous les balles des postes avanc�s, on s'�puisa en efforts surhumains. Les chevaux enfon�aient dans la terre d�tremp�e et pouvaient � grand peine en retirer leurs pieds, tandis que les roues, enlis�es jusqu'au moyeu, demeuraient immobilis�es. Il fallut y renoncer.
Pendant ce temps, on �tablissait une batterie de pi�ces de montagne sur la pente du Mansoura faisant face au pont, sans doute vers l'emplacement du regard de la conduite d'eau, et, durant la fin de la journ�e, la porte d'El-Kantara fut canonn�e de ce point.
La pluie et la gr�le ne cess�rent pas un instant de se r�pandre, fouett�es par le vent du Nord ; cependant vers le soir, une double distribution de viande put �tre faite aux troupes, dont le moral resta excellent.
Mais le manque de munitions et la perte du convoi imposaient au mar�chal l'obligation d'en finir au plus vite. D�s la tomb�e de la nuit, cinq compagnies du 63e furent plac�es dans le ravin qui longe notre usine � gaz ; puis des sous-officiers et des soldats du G�nie se gliss�rent en rampant sur le pont, afin de reconna�tre l'�tat de la porte d'El-Kantara, qui semblait endommag�e. Ils constat�rent, en effet, qu'elle �tait en partie renvers�e, mais qu'elle s'appuyait sur une deuxi�me porte �tablie en arri�re.
Sur ces entrefaites, les sentinelles, dont la vigilance �tait en d�faut, s'aper�urent enfin de la pr�sence des Fran�ais et donn�rent l'alarme. Les assi�g�s accoururent aux bastions et couvrirent les abords de la porte d'un feu nourri, bien que mal dirig�. N�anmoins, la position n'�tait pas tenable et les hardis soldats se virent forc�s de battre en retraite. On fit ensuite rentrer les compagnies envoy�es pour donner un assaut que rien n'avait pr�par�.
La partie �tait remise, f�cheuse affaire pour des coups de main de ce genre, et nous ne pouvons nous emp�cher, en songeant � ce qui devait avoir lieu la nuit suivante, de nous demander si l'on ne manqua pas d'initiative et si les hommes du G�nie, parvenus si heureusement au pied de la porte, n'auraient pas d� essayer de la faire sauter. Il est Vrai que nous ne sommes pas s�rs qu'ils �taient munis des engins n�cessaires.
Dans le courant de la nuit, le temps s'�tait remis au beau et le soleil se leva radieux, le 23. El Hadj Ahmed en profita pour tenter une attaque g�n�rale du front Sud-Ouest du Koudiat. A la t�te de sa cavalerie et soutenu par les fantassins kabiles, il se lan�a � l'assaut ; mais nos soldats, abrit�s de leur mieux, ripost�rent vigoureusement. L'audace des assaillants �tait grande, et le combat devenait acharn�, lorsqu'une charge des Chasseurs et des Spahis d�blaya le terrain. Les Kabiles, bouscul�s, sabr�s, furent rejet�e dans les ravins de l'Ouest ; puis nos cavaliers fondirent sur les Arabes du pacha et les dispers�rent.
Apr�s avoir ralli� ses goums, El Hadj Ahmed franchit le Remel, puis le Bou-Merzoug, et entraina sa cavalerie vers les plateaux du Mansoura. Mais, avant qu'il eut atteint le sommet, nos soldats, rang�s en bataille, en bordaient le front. Accueillis par un feu nourri, les cavaliers arabes ne tard�rent pas � tourner le dos et � rentrer � leur camp.
Sans attacher � ces d�monstrations plus d'importance qu'elles ne comportaient, l'�tat-major donnait tous ses soins � la pr�paration de l'assaut d'El-Kantara pour la nuit suivante, et, comme il ne pouvait �tre douteux que les assi�g�s fissent meilleure garde que la veille, il fut d�cid�, dans le but de diviser leurs forces, qu'une attaque s�rieuse serait tent�e, en m�me temps, contre le front Ouest. Pour cela, il �tait n�cessaire de donner au commandant des brigades du Koudiat les instructions les plus pr�cises. Mais, bien que la pluie eut cess�, le Remel se trouvait d�mesur�ment grossi par la fonte des neiges et l'on essaya en vain de le franchir.
Il ne restait qu'� tenter le passage d'un pi�ton; des volontaires furent demand�s � cet effet, aux troupes voisines. Plusieurs s'�tant pr�sent�s, on choisit parmi eux un vigoureux carabinier, nomm� Mouramble. Ce brave soldat se d�pouilla de ses v�tements, attacha la missive sur sa t�te et se lan�a dans le torrent imp�tueux et glac�. Gr�ce � son �nergie, il parvint � le traverser, apr�s une lutte dont les p�rip�ties �taient suivies avec anxi�t�. Parvenu sur l'autre rive, il prit le pas de course, nu comme nos premiers parents, et finit par arriver au sommet du Koudiat, sans �tre, atteint par les balles qui pleuvaient sur lui. Nous sommes heureux de rappeler ici le nom de cet obscur h�ros, qui fut re�u avec enthousiasme au camp des deux premi�res brigades et largement r�compens�.
La batterie du Mansoura avait �t� rapproch�e jusqu'� "port�e de fusil" de la place et se trouvait, sans doute, vers l'emplacement du passage � niveau actuel ; durant toute la journ�e, elle ne cessa de canonner la porte, sans r�sultat appr�ciable. D�s que la nuit fut venue, la compagnie franche du capitaine Blangini, d�sign�e comme t�te de colonne d'assaut, alla se placer dans le petit ravin de l'usine � gaz. Une compagnie de carabiniers du 2e l�ger et deux bataillons dis 63e, formant le reste de la colonne, se mass�rent sur la gauche, en avant de la gare actuelle. Le g�n�ral Tr�zel avait le commandement de l'op�ration. Quant � la direction des travaux, elle �tait aux mains du colonel Lemercier ; bien que malade et �puis� par les fatigues des nuits pr�c�dentes, ce brave officier ne s'�pargna pas.
Ainsi qu'on devait s'y attendre, les assi�g�s faisaient bonne garde, mass�s sur ce point et ses abords ; pour comble de malheur, la nuit �tait claire et la lune brillait au milieu des �toiles. Apr�s tant de soir�es sombres et brumeuses, c'�tait une ironie du sort. A l'heure fix�e, un signal convenu fut fait au Koudiat et le colonel Lemercier donna l'ordre de marcher � un d�tachement du G�nie, command� par le chef de bataillon Morin et les capitaines Hackett et, Ruy. Aussit�t, les sapeurs s'�lanc�rent sur le pont ; mais � peine y �taient-ils engag�s, qu'une gr�le de projectiles s'abattit sur eux. Beaucoup tomb�rent ou roul�rent dans le ravin, car l'ancien pont avait des parapets moins �lev�s que le n�tre. Cependant, le plus grand nombre atteignit la porte et, malgr� le feu plongeant des assi�g�s, les sapeurs commenc�rent activement un foyer de mine. En m�me temps, le canon tonnait � Bab-el-Oued, et de grandes clameurs s'�levaient sur tous les points.
Les travailleurs �tant tr�s g�n�s � El-Kantara par les assi�g�s, le colonel Lemercier fit demander en toute h�te au g�n�ral Tr�zel des soldats pour les prot�ger ; mais, soit que le message ait �t� mal compris, soit que la mise en mouvement du d�tachement d�sign� e�t donn� le change, chacun se persuada que la t�te de, colonne �tait entr�e et le bruit se r�pandit, de proche en proche, que la porte avait �t� forc�e. Aussit�t, le 63e s'avan�a vers le pont.
Or, la compagnie franche entendait ne c�der sa place � personne ; sortant du petit ravin, les hommes de Blangini se pr�cipit�rent comme une trombe vers le pont, bouscul�rent les sections d�j� engag�es, pass�rent � travers les projectiles qui les cribl�rent et vinrent s'abattre sur les malheureux sapeurs, �crasant les uns, crevant ou faisant rouler au ravin les sacs � poudre et d�truisant les travaux. Le d�sordre fut inexprimable ; ce que voyant, les assi�g�s dirig�rent tous leurs coups sur ces soldats entass�s dans un espace trop restreint, se bousculant et s'entra�nant les uns les autres vers l'ab�me.
Le g�n�ral Tr�zel s'�tait port� en toute h�te sur le pont et, tandis qu'il s'effor�ait de retenir et de faire reculer les troupes de seconde ligne, il fut atteint d'une balle � la figure. Cependant, le bruit de l'entr�e des troupes � El-Kantara �tait parvenu � l'�tat-major, et le mar�chal, suivi de ses officiers, se porta au galop dans cette direction. A l'entr�e, du pont, il rencontra le colonel Lemercier qui lui apprit, avec la plus grande douleur, l'�chec irr�m�diable de la tentative et l'invita � faire rentrer les braves gens qui se faisaient tuer l� inutilement. L'ordre en fut donn� aussit�t et les soldats repass�rent ce pont fatal, non sans laisser de nouvelles victimes en chemin.
L'attaque du front de Bab-el-Oued n'avait pas �t� plus heureuse. Le lieutenant-colonel Duvivier, qui la commandait, s'avan�a avec le Bataillon d'Afrique, une section du G�nie et deux obusiers. Mais les assi�g�s les accueillirent pas un feu d'enfer, et il se produisit une grande confusion dans la t�te de colonne ; le sous-officier charg� de la poudre destin�e � faire sauter la porte ayant �t� tu�, on ne put retrouver le sac. Les obusiers furent cependant mis en batterie et on essaya, mais en vain, d'enfoncer la porte � coups de canon ; de hardis sapeurs all�rent m�me l'attaquer � coups de hache ; tout fut inutile et la situation des assaillants devint tellement critique, qu'il fallut se d�cider � la retraite. Le feu meurtrier de la place avait fait. de nombreuses victimes; le capitaine Grand, du G�nie, et le commandant Richepanse, entre autres, �taient mortellement bless�s.


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VII

LEV�E DU SI�GE. — RETRAITE DE L'ARM�E

Nous avons laiss� le mar�chal � El-Kantara, au moment o� il venait de faire rentrer les soldats si malheureusement engag�s. Ayant appel� le colonel de Tournemine, il lui demanda o� en �taient les munitions : "Il en reste juste assez pour assurer la retraite", r�pondit cet officier.
"Fort bien ! nous partirons demain", dit Clauzel, avec ce sang-froid que rien ne pouvait troubler chez lui. Sa r�solution fut ainsi arr�t�e, sans demander d'autres explications, ni prendre le moindre renseignement sur la situation de la ville. Aussit�t, des ordres furent exp�di�s dans toutes les directions, prescrivant d'employer le reste de la nuit � pr�parer le d�part, de fa�on que l'arm�e se mit en route aux premi�res lueurs du jour.
Tandis que les Fran�ais prenaient, avec une activit� surprenante, leurs dispositions pour la retraite, que faisaient, que pensaient les assi�g�s ? On pourrait croire, qu'enthousiasm�s par leur double succ�s, ils �taient tout � la joie d'avoir repouss� ces assauts audacieux, et se pr�paraient � soutenir �nergiquement de nouvelles luttes… C'�tait tout le contraire : une v�ritable stupeur pesait sur la ville et chacun sentait que l'effort de la nuit ne pourrait se renouveler et que la r�sistance �tait �puis�e.
R�unis chez le Cheikh El Islam, Si M'hammed El Feggoun, les notables, les fonctionnaires, d�lib�raient sur le parti � prendre. Ils finirent par d�cider que, si le chef de l'arm�e garantissait, comme il l'avait offert, la s�curit� des personnes et des biens, les portes lui seraient ouvertes le lendemain matin, � huit heures. Une d�claration, r�dig�e dans ces termes, fut sign�e par le Cheikh El Islam, par Mohammed ben El Bedjaoui, ca�d ed Dar, par El Hadj El Mekki ben Zagouta et plusieurs autres, parmi lesquels un certain Merabot El Arbi, qui devait le payer cher. La pi�ce fut �crite par un habile calligraphe, le kateb Si Mohammed ben El Antri. Certaines, traditions affirment que Ben A�ssa sanctionna par sa pr�sence cette d�lib�ration ; en tout cas, il n'y mit pas sa signature.
Quelle fatalit� �tait donc attach�e � cette exp�dition, entreprise peut-�tre avec une trop grande confiance, contrari�e par des intemp�ries extraordinaires, m�me pour la saison, et que, cependant, le courage et la constance de nos soldats allaient faire r�ussir ? Dans quelques heures, on aurait pu entrer, musique en t�te, dans la vieille cit� des Jugurtha et des Sifax, mettre fin � une odieuse tyrannie et �viter les �preuves d'un second et terrible si�ge... Cela e�t �t� trop beau, trop simple surtout, et l'on allait tourner le dos � la fortune.
Il fallait aussi donner raison au fatalisme musulman qui conf�re le triste privil�ge de ne s'�tonner de rien : "Dieu est grand ! Nous �tions pr�ts � nous rendre � ces Fran�ais et les voil� qui fuient devant nous ! C'�tait donc �crit. Que Dieu les maudisse !"
Depuis le mar�chal, jusqu'au dernier soldat, tout le monde �tait victime des pr�jug�s, car personne ne comprenait le caract�re de ses adversaires. Habitu� aux grandes guerres, Clauzel jugeait la situation selon des r�gles s'appliquant � d'autres temps et � d'autres lieux ; du moment que les ressources en vivres et en munitions suffisaient tout juste � assurer la retraite, il ne restait qu'� l'ordonner. Ce principe admis, il fallait partir le plus rapidement possible, sans regret et sans honte.
En se pla�ant � ce point de vue, le Mar�chal est � abri de tout reproche ; mais ce qu'il aurait d� savoir, car un chef d'arm�e ne devrait rien ignorer, c'est que nos indig�nes musulmans �puisent vite leur ardeur et qu'ils ne sont jamais plus pr�s de se rendre que quand ils paraissent le plus acharn�s � la r�sistance, parce que leurs actes ne sont pas conduits par la logique de l'homme de principe, puisant sa force dans le sentiment du devoir et de la responsabilit� personnelle, mais par un entra�nement tombant aussit�t qu'ils peuvent croire que Dieu en a d�cid� autrement, de sorte que, lutter contre sa volont� serait non-seulement une folie, mais un sacril�ge.
Et voil� pourquoi, tandis que les assi�g�s �taient r�solus � se rendre � la premi�re heure, le Mar�chal disposait tout pour que la retraite commen��t au point du jour. Voil� pourquoi il allait partir sans regarder derri�re lui, apr�s avoir pass� trois nuits devant Constantine, sans tenter la moindre d�marche directe ou indirecte, pour se rendre compte des intentions de ces assi�g�s qu'il comptait voir arriver en suppliants au devant de lui, trois jours auparavant. C'�tait une autre forme de fatalisme. En prenant au pied de la lettre les d�clarations de ceux qui poussaient � l'exp�dition, il avait eu tort ; en n'en tenant plus aucun compte, il se trompait �galement car il y avait beaucoup de vrai dans ce qu'on lui avait dit. Tout cela �tait relatif, comme la plupart des choses de ce monde, et Clauzel jugeait au point de vue absolu.
Les pr�paratifs de retraite furent, nous le r�p�tons, men�s sur tous les points avec une activit� merveilleuse. Durant le reste de la nuit, on hissa, non sans peine, les pi�ces de la batterie d'El-Kantara, sur le plateau. Au Koudiat l'ardeur n'�tait pas moindre, et, le 24, au matin, d�s que l'aube commen�a � para�tre, les deux brigades du Mansoura se mirent en mouvement ; tandis que, sur le mamelon de l'Ouest, les deux autres s'�branlaient.
Aussit�t qu'il fit assez jour pour s'en rendre compte, les vigies plac�es sur les remparts crurent d'abord �tre victimes d'une illusion. Puis la nouvelle se r�pandit dans la ville et chacun r�p�ta : "Les Chr�tiens prennent la fuite !" En quelques minutes les id�es changent de direction et, de tous les points, des rumeurs, des cris s'�l�vent vers le ciel. Les uns adressent � Dieu des actions de gr�ce, les autres se r�pandent en impr�cations et en menaces. Puis une foule en d�lire se pr�cipite vers les portes de l'Ouest et sort en tumulte dans la direction du Koudiat.
Les deux premi�res brigades ont d�j� descendu les pentes et en partie effectu� le passage du Remel. Un bataillon du 2e L�ger, command� par Changarnier, formant l'arri�re-garde, vient de se mettre en marche. Tout � coup, des cris de d�tresse se font entendre en arri�re : c'est un avant-poste d'une quarantaine de Z�phyrs qu'on a oubli� de pr�venir et qui, s'apercevant de la retraite, a voulu rejoindre et est tomb� au milieu des forcen�s de la sortie. Imm�diatement, Changarnier commande demi-tour et le brave 2e L�ger se pr�cipite � la ba�onnette sur les b�doins, les refoule et a la satisfaction d'arracher les deux tiers des camarades une mort horrible.
Cela fait, l'arri�re-garde reprend sa marche et traverse le Remel sous la protection du lieutenant-colonel Duvivier qui a d�ploy� ses hommes sur la rive droite. La t�te de colonne des deux premi�res brigades avait pu gagner du terrain et �tait sur le point d'atteindre le plateau, avant que les cavaliers arabes, �tablis sur les pentes, au-del� des Arcades romaines, se fussent rendu un compte exact de la situation, Mais ils furent bient�t en selle et se lanc�rent travers la p�pini�re pour couper la colonne. Retard� par l'affaire des Z�phyrs, le bataillon d'arri�re- garde les trouva en face de lui et se vit entour� une nu�e de cavaliers poussant des cris horribles.
Sans s'�mouvoir de leurs menaces, mais voyant les Arabes devenir trop nombreux et trop hardis, Changarnier fait former le carr�, sans doute sur les premiers mamelons, occup�s maintenant par une briqueterie, en face du pont du Bardo. "Allons mes amis, — dit-il � ses soldats, — voyons ces gens-l� en face : ils sont six mille ; vous �tes trois cents; vous voyez bien que la partie est �gale !" Ces paroles que l'histoire a conserv�es, ou peut-�tre d'autres, mais surtout le sang-froid de leur chef r�unissent le cœur de tous ces hommes en l'�levant au plus haut sentiment du devoir et de l'honneur ; les Arabes s'arr�tent un instant devant un telle fermet�. Mais ils reprennent courage et se jettent � grands cris contre le carr� ; les armes �taient pr�tes, cependant personne ne tirait, jusqu'� ce que la voix vibrante du chef command�t tranquillement : "Feu de deux rangs. — Commencez le feu !" Alors, la fusillade illuminait les faces du carr�, r�guli�re et assur�e comme � la manœuvre, couchant dans la poussi�re les premiers assaillants dont les plus hardis �taient achev�s � la ba�onnette et �loignant les autres.
Puis, le bataillon du 2e L�ger gagnait du terrain et formait de nouveau le carr� lorsqu'il �tait trop press�. Ce fut ainsi qu'il contint l'effort de cavalerie d'El Hadj Ahmed et permit � l'arm�e de prendre les devants. Il atteignit enfin le plateau sans trop de pertes. Cette retraite couvrit de gloire le 2e L�ger et fit, � bon droit, la fortune militaire de son commandant.
Pendant que les abords de la p�pini�re actuellement le th��tre de cette lutte h�ro�que, d'autres sc�nes se passaient au Mansoura. La t�te de colonne les derni�res brigades �tait d�j� loin et les deux bataillons formant l'arri�re-garde allaient quitter le camp, lorsque des cavaliers indig�nes, des maraudeurs sortis de la ville, arriv�rent de tous c�t�s, essayant de les inqui�ter et de leur couper le chemin.
Ces troupes se mettaient en route lorsqu'elles entendirent, en arri�re, des cris d�chirants. Ils partaient de la lisi�re du plateau du Mansoura et �taient pouss�s par des malheureux bless�s et malades fran�ais qu'on avait plac�s dans les grottes pour les abriter de la pluie ; plusieurs prolonges remplies de ces gens et deux canons avaient attir� attention des r�deurs, qui les attaquaient au couteau. Comment ces tristes victimes avaient-elles �t� ainsi abandonn�es ? Certains pr�tendent qu'on les oublia; mais il est plus probable qu'apr�s les avoir plac�es dans les prolonges, on manqua d'attelages pour les emmener, ainsi que les canons, et que dans la pr�cipitation de la retraite, les hommes charg�s de ce soin y renonc�rent, sans que leurs chefs s'en inqui�tassent. Le d�sespoir de ces malheureux �tait navrant et l'arri�re- garde fit ce qu'elle put pour les d�livrer ; du reste elle n'avait pas de chevaux pour les atteler aux voitures et ne pouvait se laisser couper de la colonne. Les bless�s furent donc �gorg�s sans piti�.
Cet �pisode fut un des plus tristes de la campagne et l'on n'a jamais su exactement sur qui devait en retomber la responsabilit�. En tout �tat de cause il fut la cons�quence de la h�te avec laquelle l'arm�e d�campa, et le Mar�chal aurait pu dire, pour sa d�fense, que de telles op�rations ne se r�alisent pas sans victimes et que cette h�te, par la surprise qu'elle causa � l'ennemi, assura le salut l'arm�e.
Les deux bataillons d'arri�re-garde durent s'ouvrir un passage pour rejoindre la colonne, et furent inqui�t�s jusque vers l'oued Bi-el-Brarit. Il fallut faire plusieurs retours offensifs ; un bataillon du 53e, formant la queue du corps principal, ex�cuta une brillante charge � la ba�onnette qui nettoya le plateau. La marche continua ensuite, sans action s�rieuse et, dans la soir�e du 24, l'arm�e campa aupr�s de la Soum�a, o� elle s'�tait arr�t�e, quatre jours auparavant, pleine de confiance et d'espoir. Le lendemain, 25, les premi�res lueurs du jour permirent de constater qu'on �tait entour� de nu�es d'indig�nes, criant, vocif�rant, mais se tenant distance. La colonne prit tranquillement son ordre de route et continua sa marche, harcel�e pendant toute la journ�e par des ennemis que les flanqueurs tinrent � distance.
Les 26 et 27, il fallut livrer plusieurs combats � l'avant-garde et � l'arri�re-garde, car les indig�nes, de plus en plus nombreux, �taient devenus plus hardis. De s�v�res le�ons leur furent inflig�es sur tous les points et les Arabes n'obtinrent d'autre satisfaction que d'enlever quelques tra�nards et de mutiler les cadavres arrach�s des tombes creus�es � la h�te. Le 28, l'arm�e atteignit Guelma et rentra sans encombre � B�ne, le Ier d�cembre.
Cette retraite, fort bien conduite, s'effectua dans les meilleures conditions. Abstraction faite de quelques d�faillances, telles que celle du g�n�ral de Rigny, caus�e par une v�ritable hallucination, officiers et soldats s'y montr�rent dignes de leur renomm�e. Signalons aussi la noble conduite du vieux g�n�ral de Caraman, qui avait suivi la campagne en volontaire : on le vit, pendant la plus grande partie de la route, conduisant par la bride son cheval, sur lequel il avait plac� des bless�s, et donnant � tous l'exemple du courage calme et de l'entrain.
Cette malheureuse campagne avait co�t� � la France 443 hommes de troupe tu�s, morts de maladie ou disparus ; 11 officiers y trouv�rent la mort ou succomb�rent � leurs blessures. Il faut y ajouter le colonel Lemercier, d�j� malade au d�part et qui mourut peu de jours apr�s, �puis� par les fatigues de ce si�ge fatal, o� il s'�tait prodigu�. La colonne ramena, en outre, 304 bless�s, dont bon nombre moururent dans les h�pitaux.
Pendant que les Fran�ais achevaient leur triste voyage, Constantine se livrait � la joie ; on se f�licitait, on s'embrassait et m�me, ceux qui �taient rest�s prudemment � l'�cart, prenaient des airs de h�ros. Mais cet enthousiasme fut bient�t temp�r� par une inqui�tude g�n�rale, pesant sur tous, ainsi qu'une nu�e qui rec�le la foudre. Le Pacha allait revenir : que dirait-il ? Que ferait-il ? Quelle serait son attitude, lorsqu'il apprendrait que sa capitale avait failli �tre livr�e au chr�tien ?
El Hadj Ahmed ne tarda pas, en effet, � rentrer � Constantine et chacun fut effray� de la s�v�rit� de son expression. Il �tait exasp�r� de la d�lib�ration prise chez le cheikh El Islam ; mais, remettant � plus tard sa vengeance contre les principaux signataires, il se borna pour le moment, � faire saisir ce comparse nomm� Merabot El Arbi qui avait eu la f�cheuse id�e d'apposer, avec les notables, son nom au bas de la pi�ce. On le promena dans les carrefours et le crieur public annon�a � tous que ce ren�gat avait voulu vendre la terre de l'Islam � l'infid�le, et qu'il allait �tre puni du supplice des tra�tres. Apr�s avoir support� mille avanies, le malheureux fut pendu ignominieusement.
Cette rigueur �tait un avertissement et une menace contre des personnages plus importants. La ville demeura plong�e dans la terreur et le vieux cheikh El Islam, Si M'hammed, sortant de sa r�serve habituelle, vint courageusement affronter le tyran et l'exhorter � la mod�ration. En d�pit de la violence de son caract�re, El Hadj Ahmed se r�signa � l'�couter et parut tenir compte de ses avis. Il chercha alors � assouvir sa col�re sur les chefs, des Henanecha et autres personnages de l'int�rieur, mais sans grand succ�s.


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