II

Aspect extérieur du palais. - Un coup d’œil sur l’intérieur. - Témoignage d'Horace Vernet.

 

En arrivant aujourd'hui sur la place dite du Palais, on aperçoit une lourde et sévère masse de maçonnerie qui blesse, au premier coup d’œil, le regard le moins exercé. Rien n'annonce que ce soit là un palais. Ces grands murs, en retraite les uns sur les autres, ressemblent plutôt à une froide clôture de monastère ou de prison, qu'à l'enceinte d'un monument princier. Ils rappellent les constructions des temps où chaque homme riche ou puissant, forcé de se garder lui-même, se mettait de son mieux à l'abri des coups de main de la multitude. Leur profil est incorrect, leur ensemble inerte. Ils s'élèvent à quinze mètres environ au-dessus du niveau de la place.
En largeur, la façade n'a pas moins de quatre-vingt-un mètres de développement.
Une toiture grisâtre, en tuiles creuses, hérissée de grotesques tuyaux de cheminées modernes, complète cet aspect singulièrement triste.
Toute la décoration extérieure se réduit à quelques fenêtres également modernes, irrégulièrement percées çà et là ; en réalité elle ne présente pas plus d'intérêt que la façade de la plus médiocre maison de la ville, et n'est guère propre à faire soupçonner qu'on est devant un palais.
Mais on ne doit pas s'arrêter devant ce masque froid et presque lugubre; il faut franchir le seuil du palais et pénétrer à l'intérieur. Le contraste est alors frappant, et l'on oublie aussitôt ce que le dehors a de rude et de disgracieux. On se trouve alors en présence d'un tableau original et élégant. Le visiteur est tout d'abord agréablement saisi : attiré de tous côtés à la fois, il sent qu'il aura besoin de quelque temps pour bien voir. Ses yeux s'égarent dans cet ensemble tout inondé d'air et de lumière ; et l'impression que produisent sur lui ces nombreuses arcades aux colonnades légères et bien détachées est telle, qu'il est difficile d'en donner une idée suffisante même avec le secours de la gravure.
Ce qui contribue surtout à donner beaucoup de charme à cet intérieur, ce sont ses jardins avec leurs grands arbres, dont les rameaux, dépassant le faîte des toitures latérales, couronnent le tout d'une voûte de feuillage et le remplissent de fraîcheur. Dans une ville comme Constantine, où l'ombre et la végétation sont rares, ces agréables ombrages sont véritablement inappréciables.
Pour jouir du palais dans toute sa beauté, il faudrait pouvoir le parcourir une nuit de fête, alors que les galeries sont éclairées par la lueur adoucie d'une infinité de lanternes vénitiennes et les parterres par une constellation de verres de couleur, dont l'éclat se joue heureusement sur les surfaces miroitantes du marbre. On a sous les yeux un spectacle féerique, et l'on songe involontairement à ces palais enchantés dans lesquels nous transportent les contes orientaux. Les rayons de lumière projetés çà et là à travers les colonnades, produisent des oppositions et des fantaisies d'ombre et de clarté qui prêtent merveilleusement à l'illusion.
A coup sûr, nul de ceux qui, à certaines époques, ont assisté aux fêtes données par les généraux commandant la province de Constantine n'en ont oublié le prestige. Horace Vernet qui visita le palais, alors qu'il brillait de toute sa fraîcheur, l'a beaucoup admiré : " Figurez-vous, dit-il, une délicieuse décoration d'opéra, tout de marbre blanc et de peintures aux couleurs les plus vives d'un goût charmant, des eaux coulant de fontaines ombragées d'orangers, de myrtes, etc., enfin un rêve des Mille et une nuits."
Mais avant de décrire ce curieux monument avec plus de détails, il convient de rapporter les faits qui se rattachent à son origine et de raconter la manière dont il fut élevé. Je n'aurai du reste qu'à transcrire en quelque sorte les notes que j'ai prises sur place dans le palais même, en faisant appel à la mémoire des habitants et des ouvriers qui ont travaillé à sa construction. J'ai interrogé aussi des personnes qui, dans une position plus ou moins élevée, faisaient partie de l'entourage du bey, même des femmes ayant vécu dans son sérail. Qui saurait, en effet, mieux connaître l'histoire du palais que ceux qui l'habitaient jadis ? Grâce à ces divers témoignages j'ai pu apprendre quelques scènes d'intérieur étranges et faire revivre la figure d'El Hadj Ahmed bey, l'une des plus caractéristiques, et, il faut bien le dire dès à présent, l'une des plus odieuses de la période turque qui a immédiatement précédé l'occupation française.

 

Chapitre suivant

 

  Fermer