13 septembre 2009

L'informel infeste la vieille ville: Il était une fois Rahbat Essouf

par Rahmani Aziz

Les vieux quartiers de la ville ne fleurent plus le jasmin et l'eau de fleur d'oranger qui faisaient le charme et l'irrésistible attrait de la cité. Les Constantinois ne reconnaissent plus leur ville, aujourd'hui défigurée. Ils ont du mal à retrouver ces îlots bucoliques où ils ont passé une partie de leur enfance entre les odeurs de nougat, de menthe fraîche, de beignets bien chauds, affectueusement bercés par des versets coraniques qui inondaient de leurs murmures tous les vieux quartiers de Cirta.

  La Souika millénaire a été le premier bastion à tomber sous les coups de boutoir d'un pseudo modernisme. Une à une, les maisons se lézardaient, pour finir par se toucher, épaule contre épaule, dans un ultime geste de survie. Les unes après les autres, elles s'écroulaient, terrassées par l'usure impitoyable. Le plus vieux quartier de Constantine s'est donc effondré pour laisser place à une armée de commerçants d'un genre nouveau. On y vend et on y achète mille et une choses, mille et un objets allant du neuf à la brocante.

  Il est mort de sa belle mort, suivi dans son trépas par ce fameux quartier des El-Djezzarine, où les Constantinois venaient au moins une fois par semaine acheter les meilleures viandes de la ville. Aujourd'hui, El -Djezzarine, lui aussi infecté par le virus de l'informel, vient de succomber au mal incurable du mercantilisme. Un chapelet de bijouteries est venu occuper les lieux et les rares boucheries qui font de la résistance savent que leurs jours sont comptés.

  A moins de deux cents mètres de ce légendaire El-Djezzarine moribond, tout est chamboulé à la fameuse place des Galettes (Rahbat Essouf) et le droit d'aînesse qu'elle revendique sur Sidi Djeliss, le fief des confiseurs et des dinandiers. Aujourd'hui tarie, la fontaine de Sidi Djeliss ne se souvient plus des grosses outres de petit-lait que ramenaient quotidiennement des paysans.

  La place des Galettes a perdu de sa superbe et enterré ses cafés turcs (Djezoua), ses petits artisans tellement utiles, à l'image de ces réparateurs de parapluies, ces bonnetiers, ces passementiers, marchands de tissus, ces vendeurs de primeurs et combien d'autres commerces de proximité. Tout a disparu sous les flots déchaînés de la course au gain. La belle oasis, aujourd'hui dévastée, n'est plus que nostalgie. Assailli de toutes parts par des centaines de tables, le marché couvert, jadis florissant, est devenu inaccessible. Les marchands de fruits et légumes et les vendeurs de dattes ont été phagocytés par ces commerces anarchiques où fleurissent des produits étrangers de piètre qualité. Les produits proposés varient selon la saison et les événements du moment. Ce sont des cosmétiques aujourd'hui, qui vont, deux jours plus tard, céder la place aux tabliers ou aux fournitures scolaires.

  A l'extérieur du marché, on trouve des vendeurs de vaisselle, au moins une vingtaine de marchands de pizza exposée à tout ce qui menace l'hygiène. Les marchands de confiseries orientales foisonnent, alors même que certains fonctionnaires prennent des congés pour exercer le métier provisoire de marchand de zalabia. Plus rien ne peut être contrôlé et plus personne ne contrôle personne dans un capharnaüm bien difficile à décrire et bien difficile à digérer.

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