Rahbet Ledjmal

La place des chameaux
Actuelle rue des frères Barama

par Bouchelaghem Omar

La place des chameaux en cartes postales

Essai pour présenter cette place, en tant qu’espace urbain, à travers les écrits et les photos.

L’écrivain Tahar Ouattar, dans son roman « Ez-zilzel », en parlant de la place des chameaux (Rahbet Ledjmal) telle qu’elle était en 1973 , a écrit :
« Rahbat al djamal est resté tel quel. Mais sur ce marché étroit ne tiendraient pas cinquante chameaux. Pourqoi donc les anciens l’ont-ils appelé ainsi ? A l’origine, la place était sans doute immense, mais petit à petit ça a changé …» P 75.

Désignation de la place des chameaux sur un plan de 1994. Celle dont parle Tahar Ouattar.

Eliaou Gaston Guedj, dans son article « Constantine » , a parlé de cette place telle qu’elle était en 1837, en ces termes:
« En s'engouffrant dans la brèche, les troupes se retrouvent sur le caravansérail devenu plus tard la place des Chameaux. Tout autour est accolé un enchevêtrement de bâtisses s'appuyant les unes sur les autres. »

« La Brèche qui jouxte à l'ouest la ville indigène débouche sur la place des Chameaux. Elle sera dès lors le cœur de la ville nouvelle. Trois grands axes sont dessinés à partir de cette place. Le premier se dirige vers le bas du ravin, ce sera la rue Nationale, devenue plus tard la rue Georges Clemenceau qui finit au pont d'El Kantara. Une ligne directe est tracée vers le « Kar Chara », elle formera les rues Caraman et de France. Le troisième axe débouche sur l'abîme, ce sera le boulevard Joly de Brésillon. »

« Les institutions habituelles de la vie administrative républicaine prennent place aux abords proches de la Brèche. Sur le boulevard Joly de Brésillon, une mairie (1903), construction monumentale à quelques dizaines de mètres du centre ville, … Un peu plus loin sur le même boulevard, et dans le même style, avec une allure un peu plus sévère, la préfecture (1886) occupe toute une rue voisine

Une poste digne de l'importance qu'est appelée à prendre la ville est construite en 1908 sur le côté sud de la place de la Brèche. Un magnifique théâtre (1883) en occupe la face est, tout contre la place des Chameaux ou place de Nemours, …»

Repères
« la place Nemours » devenue « la place du 1er Novembre » après l’indépendance.

Le théatre a été construit sur l’emplacement de la caserne des janissaires. Cette dernière a été construite sous le règne du bey Ahmed Ben Ali dit El-kolli (1756-1771).

Rue Georges Clemenceau, dite aussi Triq J’diada, actuelle rue Larbi Ben M’hidi.
Rue Caraman actuelle rue Didouche Mourad
Rue de France actuelle rue du 19 juin 1965
Boulevard Joly de Brésillon actuel boulevard Zighoud Youcef

D’autres dates marquant des changements sur le plan urbain de la place.
1865- Percement de la rue Nationale (Triq Edjdida).
1908- Construction du crédit foncier.
1912 à 1915- Construction du boulevard de l’abîme.
1914- Construction du palais de justice.
1926- Construction de la banque d’Algérie.
1934 à 1937- Aménagement de la place de la Brèche.

Désignation de la place des chameaux sur un plan de 1837. Celle dont parle Eliaou Gaston Guedj.

La société d’archéologie de Constantine utilisa en 1853 « un local situé au bas de la place du CARAVANSERAIL (place des chameaux) » comme musée pour sauvegarder sa collection sur le patrimoine historique de la ville.


La place du Caravansérail


La place des chameaux en 1904


La place des chameaux avant les années 60. Du coté donnant sur la rue de l'échelle.


La place dans les années 60.

Légende
1- Face du grand Fondouk donnant sur la rue de l’échelle.
2- Extension du grand Fondouk survenue après 1904.
3- Point de vente des tabacs.
4- Deuxième porte d’entrée du grand Fondouk.
5- Vers le début de la rue de l’échelle. Partie supériere.
6- Porte d’entrée du petit Fondouk.
7- Début de l’entrée du Sabbat.
8- Vers la rue Hanoun (ex Massenet)
9- Vers la rue des frères Ahssane (ex Hackett).
10- Vers la rue Marrouf (ex Pantalacci).
11- Première porte du grand Fondouk donnant sur la rue des frères Ahssane (ex Hackett).


Partie basse de la rue de l’échelle, menant à la place des chameaux. Elle est située sous le pont de Sidi-Rached , à son extrémité en direction du centre-ville.

Scènes de vie

Ci-après quelques passages extraits du roman de Tahar Ouattar . Ils décrivent des scènes de vie se passant sur la place des chameaux.

Bon bain de foule et bonne promenade.

« “Là, El Fergani; à côté, Oum Keltoum; en face, une causerie religieuse à la radio; tout prés, Aïssa Djarmouni, puis Farid El Atrache; chevauchant le tout, la voix d'un speaker répétant: “Ici Londres!” Et toujours le riche éventail des odeurs”.
-Plastification des cartes d'identité et des permis de conduire! Travail soigné, pour presque rien! » P 73

« ….. Devant une petite table se tenait un garçon d'environ dix-sept ans: tunique bleue à la chinoise usée jusqu'à la corde, sandales d'alfa, teint clair et taches de rousseur, cheveux longs, nez au vent, sourire grave sur les lèvres, gestes mesurés. Sur la table, une presse rouge, des rouleaux de papier et une carte d'identité vierge. » P 73

« ……….-Une montre, une montre.. un transistor!
-Magnétophone... chaussures!
-Valises, valises... pantalons!
-Un manteau... une montre!
-Transistor... appareil photo... tout neufs! » P 73

« ….. Il se dirigea vers le café et se laissa tomber sur le premier siège qu'il rencontra. Il inspecta du regard l'intérieur et l'extérieur.
“Les chaises et les tables, d'installation récente, sont en métal: les murs viennent d'être repeints; le percolateur “Expresso”, venu tout droit d'Italie, a remplacé “l'aoujak” d'antan. Mais, en dehors du propriétaire et de moi-même, pas un chat. » P 76

« ……….-Une montre suisse vingt-quatre rubis!
radio magnétophone de Tindouf!
-Briquets à gaz, cigarettes, briquets extra!
-Costumes de Shanghaï, des vrais!
Dans un brouhaha de voix les marchands ambulants rappliquaient vers le café. Au même moment retentissaient les sirènes des voitures de police. En un instant, une multitude de clients assis ou debout occupèrent toute la salle. » P 81

« ………… L'agitation augmentait. Vendeurs, voleurs, crieurs à l'encan, passants, tous se rassemblèrent aux alentours du café et des magasins du voisinage; les uns s'assirent au pied du mur qui se dressait près de là, d'autres s'y juchèrent.
-Sebti, Sebti !
A l'appel de Saâdane, un jeune homme se retourna vers lui. Son poignet gauche était garni de montres, il tenait de la main droite un poste radio et des chaussures. Sebti joua des épaules, bouscula à droite et à gauche ceux qui le gênaient, petits et grands, jeunes et vieux. Il parvint jusqu'à eux deux.

— Bonsoir. Comment va l'oncle Saâdane ?
— Qu'est-il arrivé ?
—Mardjana est morte.
— Qui donc, cette Mardjana ?
—Une nouvelle venue à Bab El Djabia. Son jules I'avait amenée de D. Tous les souteneurs de Bab El Djabia ont voulu mettre la main sur elle…. »
PP 82-83

« …Au-dessus de la porte d'un hammam, une planchette grossièrement taillée portait une inscription, d'écriture très maladroite: LE TOUR, POUR LES FEMMES, HAMMAM.
"Quelle femme aura l'audace de s'aventurer à travers Rahbat-El-Djamâl pour rejoindre ce hammam ?... Et pourtant, s'il n'y avait pas de clientes, le propriétaire ne s'obstinerait pas à accrocher cette planchette.

Ici, les gens ne se soucient guère les uns des autres; chacun agit à sa guise, comme s'il était seul. sans être surveillé ni influencé par personne. D'ailleurs, ils ne savent faire q'une chose: tendre les mains pour présenter leurs marchandises.
Ni entente ni dispute: une situation intermédiaire où l'on ignore l'existence de l'autre mais où personne ne peut se passer d'autrui. » PP 82-83

Documentation photographique
**Les plans proviennent du site de Serge Gilard « Constantine d’hier et d’aujourd’hui ».
**Les photos de la place des chameaux en couleur et celle de la partie inférieure de la rue de l’échelle proviennent du site « Constantine d’hier et d’aujourd’hui ».
**Les autres photos ont été puisées dans la collection de Gilles Julien.

Documentation scripturaire
*Ez-zizel (Le séisme) de Tahar Ouettar. Traduit de l’arabe par Marcel Blois. Ed. SNED 1981
*CONSTANTINE. ; Extrait de la revue « l'Algérianiste » n° 73. Article de Eliaou Gaston GUEDJ
*Site Internet parlant de la création du « musée Cirta ».

Réalisation: B. Omar
Alger
Avril 2009 

El Watan - 11 mars 2020

Ancien caravansérail de Rahbet Ledjmal à Constantine
Un lieu historique en perdition

La bâtisse à trois niveaux, avec sa toiture en tuiles et sa façade ornée de colonnes en bois épousant de jolis arcs, occupe un coin de la place Benhamadi Mohamed Ameziane, plus connue par Rahbet Ledjmal (ex-place des Chameaux), au centre-ville de Constantine.

L'ancien caravansérail de l'époque ottomane, devenu aujourd'hui Fondouk Béni Abbes et son extension appelée «Fondouk Aouidet», connaît une sérieuse dégradation.

En 2014, un ambitieux projet pour sa restauration, le premier depuis l'indépendance, avait été lancé sous l'égide de l'Office de gestion et d'exploitation des biens culturels (OGEBC) dans le cadre d'un plan global de réhabilitation de tout un espace de Rahbet Ledjmal avec pour principal objectif de rendre le fondouk aux vrais artisans, et délocaliser toutes les activités commerciales vers l'esplanade se trouvant juste à côté.

Selon Nabil Gaham, responsable du cabinet d'architecture chargé de l'étude et du suivi du projet, les travaux dans cette partie concernent le grand et le petit fondouk de Rahbet Ledjmal, la mosquée Abderrahmene El Karaoui, juste à côté et la terrasse située derrière le siège de la BNA de la place du 1 er Novembre (ex-La Brèche).

Le projet avait été entamé en janvier 2014, avec la prospection du site, les relevés architecturaux des structures au scanner 3D et le diagnostic des constructions.

L'opération connaîtra de sérieux problèmes face au refus des commerçants et des artisans de libérer les lieux. Les autorités ne feront rien pour débloquer la situation.

C'est le statu quo jusqu'à ce jour. Selon Nabil Gaham, les premiers constats avaient révélé à l'époque une sérieuse dégradation de la structure, des fissures importantes sur les murs, un flambement de poutres, une inclinaison des colonnes et un affaissement des dalles, en plus des transformations opérées durant des décennies et qui ont déformé une bonne partie de l'ancien immeuble.

Aujourd'hui, la situation est encore complexe pour préserver cette bâtisse d'une grande valeur historique. Pour rappel, ce lieu, qui remonte à l'époque ottomane, était le point de rencontre des caravanes venant du Sud par la route de Batna chargées de dattes, de tapis, de laine, de cuir et d'étoffes, d'autres apportaient de la marchandise des régions des Aurès et de la Kabylie.

Dans ce bâtiment, les commerçants louaient des entrepôts pour stocker leurs marchandises, mais aussi des chambres pour passer la nuit. Le caravansérail a connu une extension à partir de 1904. Le petit Fondouk Aouidet est venu s'y greffer.

Des chroniqueurs de l'époque évoquent l'existence d'un local au bas de la place exploité en 1853 par la Société archéologique de Constantine comme lieu de sauvegarde de la collection de pièces et objets trouvés lors des fouilles menées dans l'antique Cirta. 

S. ARSLAN

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