El Watan - 06 août 2016
Grottes préhistoriques de Constantine
Des merveilles naturelles à découvrir
La ville de Constantine n'est pas uniquement le Vieux rocher,
les huit ponts et les Gorges du Rhumel. Classée parmi les
sites uniques au monde, l'antique Cirta regorge de merveilles naturelles
encore méconnues de nombreux Constantinois.
Parmi ces sites, le rocher de Sidi M'cid, qui se dresse au nord,
comme un frère jumeau de celui qui abrite la ville-citadelle,
dont il est séparé par le ravin, n'a pas livré tous
ses secrets.
A partir de la cité Emir Abdelkader (Ex-Faubourg Lamy), un
lieu connu pour ses nombreuses carrières désaffectées,
qui portent encore les noms de Gance, Lentini et Alexandra, leurs
anciens exploitants durant l'époque coloniale, on prend le
sentier menant vers Fedj Errih (Le Col du vent) à plus de
680 m d'altitude.
Le site offre un vue magnifique sur la route de la corniche et la
vallée de Sidi M'cid en bas, mais aussi la localité de
Bekira au nord, avec ses interminables chantiers de logements. Le
rocher de Sidi M'cid s'élève comme un imposant mastodonte
de pierre. On n'aurait pas connu ce site sans notre guide, Chaouki
Djeghim, spéléologue, membre fondateur du club Spéléoman
de Constantine, passionné de découvertes et d'explorations.
Après une demi-heure de marche sur un terrain parsemé d'arbres
de cactus, on monte une pente raide et glissante vers l'ouest, pour
se retrouver devant la Grotte des mouflons. Une entrée large
d'une dizaine de mètres s'ouvre sur une caverne qui se prolonge
sur une profondeur de 42 m. La hauteur varie entre 3 à 12
m.
Elle diminue au fond, pour ne laisser qu'un petit passage vers une
seconde chambre plus haute truffée de nids de chauves-souris.
Une fois à l'intérieur, on est impressionné par
l'ambiance de ce lieu naturel, l'obscurité, le sol accidenté,
les parois rocheuses couvertes de couches de cristaux. L'air est
humide et la température clémente.
De l'eau fraîche descendant des parois du rocher forme une
petite nappe au sol. La Grotte des mouflons, appelée aussi
Kahf Edhlam (la caverne obscure) est encore à l'état
brut, non entretenue, ni aménagée pour des visites
touristiques. La présence humaine se fait remarquer. Des gens
viennent y passer la nuit.
Les traces d'un feu allumé sont visibles, mais aussi des
graffitis. «Les feux allumés ici ont causé des
dégâts à la paroi de la grotte ; la forte chaleur
et le froid ont fait éclater la roche à l'intérieur»,
explique Chaouki Djeghim. On imagine déjà la vie du
premier homme qui habitait les lieux 45 000 ans avant J-C. «La
grotte doit son nom aux ossements des mouflons fossilisés
qui ont été découverts durant la période
coloniale, notamment une tête de mouflon exposée aujourd'hui
au Musée national Cirta de Constantine», explique notre
guide.
Du silex dans la Grotte des Ours
A 200 mètres de la Grotte des mouflons, juste en bas, et
dans le même rocher de Sidi M'cid, surplombant la voie ferrée
menant vers Skikda, parallèlement à la route de la
Corniche, ont est devant une autre merveille naturelle : la Grotte
des Ours, appelée aussi «Ghar Zahar» (la grotte
qui gronde).
C'est Arthur Debruge, un commis principal des Postes, passionné de
préhistoire et membre de la Société archéologique
de Constantine, qui a exploré le lieu pour la première
fois en 1907. Dans ses notes, ce dernier le décrit comme «une
grotte vaste et spacieuse, de plain-pied, ne mesurant pas moins de
60 mètres de longueur et 6 mètres de largeur moyenne
avec une hauteur parfois assez considérable.
En raison de ses proportions, l'ouverture principale, située
au nord, a un certain caractère majestueux». Lors des
fouilles, Debruge avait recueilli des objets en silex remontant à la
période néolithique, preuve que l'homme avait habité cette
grotte, ainsi que des ossements de plusieurs espèces d'animaux,
notamment des ours, d'où son appellation. L'analyse de ses
découvertes sera confiée à l'éminent
zoologiste et préhistorien Paul Pallary, connu à l'époque
comme le «doyen de la préhistoire de l'Afrique du Nord».
Dans ses conclusions, Pallary notera :
«L'homme n'a pu habiter que temporairement cet abri qui a
dû servir alternativement de repaire à l'ours des cavernes
et de demeure à l'homme. A moins encore que l'occupation de
la caverne par l'ours soit antérieure à celle de l'homme».
Pour rappel, cette grotte figurait sur le parcours du chemin tracé par
les guides montagnards durant l'époque coloniale, où plusieurs
sites préhistoriques de la ville de Constantine étaient
visités par de nombreux touristes étrangers. Une activité qui
s'est poursuivie même après l'indépendance et
qui cessera pendant la décennie du terrorisme. La grotte des
Ours a subi un grave bradage ces dernières années,
après avoir été squattée et transformée
en étable.
Des légendes à la Grotte des Pigeons
Sur le boulevard Zighoud Youcef (ex-boulevard de l'Abîme),
en passant par la première passerelle, apparaît à droite
une voûte dans le rocher, descendant jusqu'en bas dans la falaise
qui domine le site de Sidi M'cid. C'est la Grotte des pigeons, une
des curiosités touristiques et scientifiques de la ville durant
l'époque coloniale. Les Français avaient commencé à s'intéresser
au site, qu'ils avaient découvert à partir de la caserne
de la Casbah, dès la fin du 19e siècle, mais l'accès
y était difficile et risqué. C'est suite à la
réalisation en 1916 du boulevard de l'Abîme, avec ses
tunnels, que l'exploration de cette grotte est devenue possible.
La même année, un escalier fut construit pour relier
le boulevard de l'Abîme à la grotte qui se divise en
deux parties : l'une principale, de 12 m de largeur et autant de
hauteur, et une seconde de moindre importance, regardant à l'ouest.
Encore une fois, c'est grâce à Arthur Debruge, que nous
avons pu connaître l'historique de cette grotte. «Lorsque,
pour la première fois, par un moyen de fortune, il me fut
possible d'accéder à cette grotte, j'eus aussitôt
l'impression qu'elle réserverait une surprise et que l'homme
y signalerait son passage, comme pour ainsi dire dans toutes les
grottes», notait-il dans le volume n°50 du recueil des
notices et mémoires de la Société archéologique
de Constantine, paru en 1917.
De nombreuses légendes ont été cultivées
par les anciens Constantinois autour de cette grotte, qui aurait
servi comme nécropole. Certains disent que vers le fond existe
un gouffre où on entend couler l'eau, d'autres ajoutent que
les bougies s'y éteignent et qu'il existe certaines communications
souterraines pouvant s'étendre assez loin. Aujourd'hui, cette
grotte, dont les escaliers sont fermés, est dans un piteux état.
Un bijou de la nature en plein centre-ville
A quelques encablures de la place du 1er Novembre (Ex-La Brèche),
juste à l'entrée de la rue Larbi Ben M'hidi, se trouve
l'ancien Hôtel de Paris. «C'est en creusant dans le sol
pour la construction de cet hôtel en 1907 que les Français
découvrent par hasard une magnifique grotte dans le rocher,
abritant des formations en cristaux d'une extrême beauté,
un véritable bijou de la nature», nous révèle
Chaouki Djeghim. La grotte, appelée Ras Eddouames, sera aménagée
en lieu touristique.
Un escalier en colimaçon descend vers le sous-sol de l'hôtel.
Il se termine sur des marches en pierre, qui donnent accès à un
petit lac, bien éclairé, où les visiteurs pouvaient
faire un tour sur une petite barque contre la somme de 50 centimes
de l'époque. Un véritable plaisir pour les amoureux
de grottes merveilleuses. Le lieu est devenu aussi célèbre,
attirant des foules de toute l'Algérie. Mais il sera fermé en
1939, et ne sera jamais rouvert. Il tombera finalement dans l'oubli
après l'indépendance. Rares parmi les vieux Constantinois
sont ceux qui se rappellent de cette grotte. «Après
plusieurs tentatives et grâce au propriétaire de l'hôtel,
j'ai réussi à organiser une exploration de la grotte
le 28 novembre 2014», décrit Chaouki Djeghim.
«Bien que j'aie découvert un site d'une extrême
beauté, avec des cristaux sous forme de choux, j'ai trouvé la
grotte dans un état de dégradation indescriptible,
mais le plus choquant dans tout cela est l'état du petit lac,
qui a été envahi par les eaux usées»,
poursuit-il. Pour Chaouki Djeghim, les grottes naturelles de Constantine
sont un véritable trésor qu'il convient d'exploiter.
Il revient aux autorités de les réhabiliter et de les
aménager pour en faire une belle destination touristique
Arslan Selmane |