Constantine

 

Fixée sur son rocher, Constantine n'a pas la volubilité d'Alger, la sérénité d'Oran. Non, c'est plutôt une place forte, une ville orgueilleuse, une cité hautaine. Telle est du moins l'impression qu'elle donne quand on l'aborde par la route du nord. Elle joue, dirait-on, de la menace et d'une certitude d'invulnérabilité. Elle a, comme des auteurs l'ont fait remarquer, quelque chose de Tolède - le sens du tragique peut-être - et l'assurance de qui surplombe le monde. Mais, dès que l'on se rapproche, la physionomie se modifie. Constantine paraît soudain anxieuse de s'évader de son étroite plate-forme. Par-dessus les gorges du Rhumel, elle a lancé des ponts et sans doute est-ce celui de Sidi M'Cid, suspendu et arachnéen, qui est, de ce point de vue, le plus suggestif.
La vieille ville est répandue sur cette presqu'île rocheuse que contourne le Rhumel. Elle s'est développée ensuite sur la colline du Koudiat Ati, puis, de l'autre côté des gorges, sur le promontoire de Sidi M'Cid. Enfin débridée, elle a poussé vers l'est et l'ouest. Cependant, bloquée dans son expansion par la guerre alors même que convergeaient vers elle des émigrés ruraux, elle s'est peu à peu encombrée de taudis minuscules. Il en résulte une disparité navrante. Dans une ville où l'on change constamment de niveau, l'ornemental et le résidentiel côtoient le misérable et l'insalubre, exactement comme les chicanes obscures de la casbah sont proches de beaux jardins.
Les grandes perspectives, les observatoires et les gouffres que l'organisation du site propose au visiteur confèrent cependant à Constantine un pouvoir de séduction auquel on ne résiste pas.
Quelques outils rudimentaires exhumés donnent à penser que ses origines sont lointaines. Et peut-être des hommes installés en cet endroit ont-ils été témoins de la modification progressive : l'assèchement du lac de Sétif, l'apparition du rocher et la formation des gorges par l'action érosive des eaux de surface et des eaux souterraines du Rhumel.
C'est au IIIe siècle avant J.-C. que Constantine joue son premier grand rôle. Cirta est alors capitale de la Numidie. Puis, sous le régime romain, après avoir été capitale de Juba II qui lui préfère Césarée, elle devient le centre d'une confédération autonome. Détruite par Maxence au IVe siècle, elle devait être reconstruite par Constantin et recevoir alors sa nouvelle dénomination.
La spiritualité chrétienne fut vive à Constantine. Si vive que la persécution de Dioclétien s'abattit sur elle. Plus tard, en dépit d'une violente résistance, les invasions hilaliennes et almohades vinrent à bout de la ville qui connut une longue éclipse.
Constantine reparaît au XVllle siècle. Les Turcs régnant, Salah Bey restaura et embellit la ville. Le dernier bey, El Hadj Ahmed, construisit un palais dont le faste est encore visible en dépit d'impardonnables déprédations. Il y a là, organisées autour de jardins intérieurs, des galeries ornées de fresques dont le détail narratif évoque la manière de la tapisserie de Bayeux. Aux étages, les salons - promis à la restauration - font quelques confidences suggestives sur la vie du bey.
Si attaché qu'on l'ait dit aux complaisances du luxe et aux vertiges de l'opulence, Ahmed Bey opposa aux Français une résistance farouche et, la ville ayant cédé, prit le maquis dans les Aurès, résistant pendant onze années avant de se soumettre.
Ces avatars historiques n'ont pas laissé de vestiges bien nombreux. On visitera néanmoins avec intérêt les sections archéologiques et historiques du Musée Gustave Mercier.
Nous l'avons signalé, une université nouvelle, la troisième d'Algérie, a été construite à Constantine avec l'ambition d'être la plus grande d'Afrique. En même temps, on a installé dans les faubourgs les chaînes de montage d'une usine de tracteurs. Et puis, la plus fastueuse mosquée d'Algérie est édifiée là. Trois forces - que les autorités algériennes disent conciliables et parfaitement conciliées - se trouvent donc réunies : la tradition dans la foi, la culture moderne et le moteur économique. La fierté des Constantinois en est grande !

Extrait de "L'Algérie"
Hubert Nyssen
Arthaud 1978

 

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